Le récent désengorgement de la prison centrale de Makala, dirigé par le Ministre de la Justice, Constat Mutamba, a suscité quelques inquiétudes au sein de la société civile et des acteurs de la justice en RDC. Parmi les voix critiques se distingue celle du Dr. Debora Kayembe, avocate et militante des droits humains, qui n’a pas hésité à exprimer ses réserves sur les conséquences potentielles de cette décision.
En effet, la libération de 1.685 prisonniers dits « malades » de Makala, dans un processus qui se veut être une réponse à l’engorgement de la prison, soulève des questions fondamentales. Selon le Ministre Mutamba, cette mesure vise à améliorer les conditions de vie des détenus et à poursuivre un programme similaire à l’intérieur du pays. Mais pour le Dr. Debora Kayembe, cette action semble plus dictée par le populisme que par une réflexion profonde sur les impacts à long terme pour la société.
« Je crois que le populisme a pris place dans notre système judiciaire, et la RDC risque d’en payer le prix », a-t-elle déclaré, mettant en garde contre une décision précipitée qui, selon elle, pourrait aggraver la situation sécuritaire déjà fragile de Kinshasa.
Des risques sanitaires et sécuritaires majeurs
Le Dr. Debora Kayembe soulève également des préoccupations liées aux risques sanitaires qui pourraient découler de cette libération massive. La ville de Kinshasa, déjà en proie à une insécurité galopante, fait également face à une nouvelle menace sanitaire : l’épidémie de Monkeypox, signalée dans la capitale et même au sein de la prison centrale de Makala.
« Ce qui risquerait de faire tomber la ville de Kinshasa dans une insécurité sans précédent », a-t-elle averti, soulignant que les risques d’une contamination à grande échelle, combinés à l’insécurité chronique, pourraient créer une situation chaotique.
En outre, Kinshasa est confrontée à une insalubrité avancée et grandissante, aggravée par l’arrivée de la saison des pluies qui, généralement causent des inondations. Cette situation pourrait exacerber la propagation de maladies liées aux conditions de vie précaires. « La ville de Kinshasa court le risque potentiel d’une « catastrophe humanitaire, » alerte le Dr. Kayembe, insistant sur le fait que les dangers sanitaires pourraient atteindre des proportions dramatiques avec l’accumulation des problèmes d’hygiène, l’épidémie de Monkeypox, et la libération de prisonniers ‘’malades’’.
Elle souligne également que ces prisonniers malades ne devraient en aucun cas retourner directement dans la communauté. « Ils devraient d’abord être envoyés dans des structures médicales pour une prise en charge appropriée et complète par l’État avant de les réintégrer dans la société » a-t-elle martelé, rappelant qu’il est de la responsabilité de l’État de veiller à la santé publique et de prendre en charge ces malades, plutôt que de laisser la population exposée à d’éventuelles contaminations.
Bien que personne ne nie les conditions de détention inhumaines dans les prisons congolaises, le Dr. Debora Kayembe se demande si cette manière de désengorgement était véritablement la meilleure option. Elle regrette l’absence de mesures claires pour la réinsertion sociale des prisonniers, une étape cruciale pour éviter une recrudescence de la criminalité.
Une décision unilatérale ?
Un autre aspect controversé de cette libération est la manière dont elle a été menée. Le Dr. Debora Kayembe n’hésite pas à critiquer ce qu’elle perçoit comme une décision unilatérale du Ministre Mutamba, prise selon elle, sans consultation approfondie avec les acteurs du système judiciaire. « Cette décision semble être une décision unilatérale du Ministre lui-même, étant donné qu’il est à bâtons rompus avec plusieurs acteurs de la justice dans le pays », a-t-elle affirmé, pointant du doigt un manque de coordination et de concertation qui pourrait compromettre l’efficacité de la mesure.
Par ailleurs, elle s’interroge sur la manière dont les prisonniers malades ont été diagnostiqués. Ont-ils subi des examens médicaux rigoureux pour identifier la nature de leurs infections, souvent des maladies contagieuses comme la tuberculose ou les infections cutanées graves, avant leur libération ? « Si ces conditions évoquées n’ont pas été respectées, c’est la population qui va courir un grand danger », a-t-elle martelé, appelant à plus de transparence et de responsabilité dans l’exécution de cette mesure.
Cette décision de désengorgement, bien qu’urgente sur le papier, soulève donc de nombreux questionnements quant aux priorités de la justice congolaise. Était-elle réellement indispensable dans un contexte où les défis sont multiples, que ce soit en matière de sécurité ou de santé publique ? Le Dr. Debora Kayembe craint que cette approche jugée de ‘’populiste’’ ne vienne entacher davantage la crédibilité d’un système judiciaire déjà jugé défaillant.
Le Dr. Debora Kayembe appelle à un examen approfondi de la situation actuelle avant de poursuivre ce programme de désengorgement à l’intérieur du pays. « Le Ministre de la Justice, quelles que soient les raisons ayant conduit à ce programme, aurait pu commencer par établir dans quelle situation nous nous trouvons. Sinon, nous répondrons tous à ce populisme qui semble prendre le dessus dans une justice qualifiée de « malade », » a-t-elle déclaré avec gravité.
Pour finir, le Dr. Debora Kayembe souligne que le Ministre de la Justice aurait dû commencer par établir un diagnostic approfondi de la situation actuelle du système judiciaire avant d’initier un tel programme. « Il aurait pu convoquer les états généraux de la justice, ce qui lui aurait permis de poser les bases nécessaires pour aborder toutes les questions judiciaires et juridiques du pays, si et seulement si sa volonté est celle de réformer la justice de fond en comble, » a-t-elle précisé.